Discours de Bernard Quintin, Envoyé spécial de l’UE pour les Grands Lacs, au nom des partenaires internationaux à l’ouverture du 10e Sommet des Chefs d'État et de gouvernement du mécanisme régional de suivi de l'Accord-cadre d'Addis-Abeba

24.02.2022
Brussels

Neuf ans après sa signature, l’Accord-Cadre reste toujours pertinent. Car il présente justement un cadre où peuvent être appréhendées de manière consensuelle les « causes profondes » des conflits complexes, qui durent depuis des décennies dans cette zone. L’Accord continue de jouer un rôle central en tant que cadre politique et de référence pour une paix et une stabilité durable dans la région. Il est souscrit par tous les pays et organisations dans la région ainsi que par les principaux acteurs internationaux.

 

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Excellences Monsieur le Président

Messieurs les chefs d’État et Ministres,

Mesdames et Messieurs, en vos titres respectifs,
 

Tout d'abord, je tiens à vous assurer que c’est bien conscient de l’honneur que vous me faites que je m’adresse à vous et cette auguste assemblée aujourd’hui, d’autant que je le fais au nom de l’Union européenne, de ses Etats membres et singulièrement de la Belgique et de la France au titre du Mécanisme, ainsi que du Royaume Uni et des Etats Unis d’Amérique.

L'organisation de cette conférence marque une nouvelle étape, très importante, dans la volonté des autorités congolaises de mettre l’est de la République démocratique du Congo (RDC) au centre de ses et donc de nos préoccupations et attentions.

La présence de nombreuses très hautes autorités et délégation marque l'intérêt et la volonté commune de la région de contribuer aux solutions pour la région. Elle est en même temps le fruit d’une amélioration remarquable de ces relations régionales, grâce à l’action diplomatique qui a été revitalisée par les Présidents de la RDC, de l’Ouganda, du Rwanda et du Burundi, et qui a débouché sur la signature de divers instruments de coopération bilatérale. La réactivation de la Quadripartite en est aussi un exemple remarquable.  Nous espérons de tout cœur que cet élan politique positif dans la région se consolidera davantage et se poursuivra entre l’ensemble des Etats dans la région.

Nous apprécions à juste titre tous vos efforts pour la paix, sécurité et stabilité en RDC et dans la région. Je pense en particulier aux efforts déployés par le Président de l’Angola en sa qualité de Président de la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs (CIRGL) ou ceux de l’Envoyé spécial des Nations unies pour la région des Grands Lacs, pour la mise en œuvre d’une Stratégie et d’un plan d’action de l’ONU pour la région, et de la MONUSCO, qui participe au quotidien aux efforts de pacification de l’est de la RDC.

Nous nous concentrons aujourd'hui sur l’Accord-Cadre et sa mise en œuvre pour le bénéfice de la RDC et de la région. En même temps, le contexte mondial et les événements de cette semaine ailleurs en Europe, où l’agression contre l’Ukraine, le mépris pour sa souveraineté et son intégrité territoriale rappellent les raisons pour lesquelles la région et la communauté internationale se sont engagées en faveur de la paix par le respect de la souveraineté et de l'intégrité territoriale de la RDC, et pourquoi cet engagement reste essentiel.

Excellences,

Mesdames et Messieurs,

Avant de participer à cette conférence, j'ai voulu me rendre compte de la situation à l’est. Lors d’une courte mission que j’ai pu entreprendre à Goma, je n’ai pu que constater une situation humanitaire et sécuritaire très préoccupante, d’autant plus d’ailleurs que la lecture ou l’analyse de cette situation qui recueille un large consensus d’acteurs étatiques et non-étatiques de et dans la région ne semble pas partagé par toutes les autorités locales. Les acteurs humanitaires de premier plan regrettent un rétrécissement de leur zones et capacités d’action tandis que la décomposition de certains groupes est allée de pair avec des représailles contre la population civile. D'autres groupes pourtant démobilisés depuis des mois ou même plusieurs années, se sont soudainement réactivés. Les services de sécurité congolais ne semblent pas toujours suffisamment en mesure de faire face à ces nombreux défis sécuritaires et d’ailleurs nous savons, par expérience, qu’il n’y a pas de solution qui ne soit que militaire ou sécuritaire. Les défis sont immenses en la matière et la RDC sait et doit pouvoir compter sur le soutien de tous ses partenaires bilatéraux et multilatéraux, comme la MONUSCO déjà citée.

Neuf ans après sa signature, l’Accord-Cadre reste toujours pertinent. Car il présente justement un cadre où peuvent être appréhendées de manière consensuelle les « causes profondes » des conflits complexes, qui durent depuis des décennies dans cette zone. L’Accord continue de jouer un rôle central en tant que cadre politique et de référence pour une paix et une stabilité durable dans la région. Il est souscrit par tous les pays et organisations dans la région ainsi que par les principaux acteurs internationaux.

Un des éléments clés dans l’Accord-Cadre est l’exploitation et le commerce illicite des ressources naturelles en RDC et dans la région, et je cite, en vrac si j’ose dire l’étain, le tantale, le tungstène, l’or, les diamants, le coltan et le charbon, ainsi que le cacao, le bois d’œuvre et les espèces sauvages, par les groupes armés et les réseaux criminels et mafieux qui les appuient. Ces trafics doivent devenir commerce, au bénéfice de tous, équitablement.

Excellences,

Mesdames et Messieurs,

Pour notre part, la situation à l'est de la RDC est tout sauf une crise oubliée. L’UE et ses partenaires se sont investis depuis plusieurs années et à différents titres dans la région. Nous sommes un partenaire important de la réforme du secteur de sécurité en RDC, autant sur la réforme de l’armée que de la police et la justice. Nous soutenons la lutte contre l’impunité par un appui aux juridictions nationales pour les poursuites et jugements des crimes grave et violences sexuelles commis à l’Est. Nous apportons une aide humanitaire considérable aux populations vulnérables.

Malgré la détermination du gouvernement congolais, des pays dans la région et tout notre investissement, les efforts pour stabiliser la région n’ont pas encore atteint leur objectif. Ils doivent être accélérés car il y a urgence. De notre côté, nous sommes prêts à renforcer notre action, sur base d’une stratégie de stabilisation nationale intégrée, en application de l’Accord et en tenant compte de la nécessité du respect de l’état de droit et de la protection, de la promotion même, des droits humains. Nous devons tous nous engager davantage, tant sur les questions de justice et de sécurité, comme la RSS et le DDRCS, que sur des actions de développement socio-économique et de restauration de la cohésion sociale, qui passent par exemple par une plus grande implication du secteur privé et une plus grande intégration économique régionale, afin de créer des emplois et donner un élan au développement de la région. 

L’UE, ses Etats membres et ses partenaires sont engagés pour travailler toujours plus étroitement avec la région, sur base d’une nouvelle approche stratégique de l’UE pour les Grands Lacs, qui pourrait inclure des aspects comme les questions transfrontalières, l’exploitation et le commerce durable des ressources naturelles ainsi que les questions de paix et de sécurité, comme par exemple la prévention de l’extrêmisme violent, le renforcement de la justice et la lutte contre l’impunité.

La conférence d’aujourd’hui est une étape importante qui nous permettra, j’en suis certain, d’avoir une compréhension et une vision encore plus partagée et, ainsi, renforcer là où c’est nécessaire nos coopérations et notre approche multilatérale. D’autres réunions seront nécessaires et nous sommes preneurs d’un dialogue régulier avec vous sur toutes ces questions. Notre objectif est d’appuyer vos efforts pour parvenir à une paix et une stabilité durable dans la région. Mettre fin une fois pour toutes aux violences quotidiennes subies par les civils, victimes de ce que l’on appelle encore parfois une guerre de basse intensité, un concept dont je suis certain que nous ressentons le caractère presque vulgaire quand on l’oppose à ces personnes dont nous devons ensemble, assurer la sécurité et restaurer la dignité.  Nous le leur devons. Et nous pourrons ainsi, aussi, et toujours ensemble, faire de la région des grands lacs le moteur de développement pour tout le continent africain qu’elle mérite d’être.

Je vous remercie.