« Il s’agit pour Vladimir Poutine de siffler la fin de la récréation démocratique en Ukraine »
Tribune. De nouveau, sur le territoire européen, une grande puissance mène une guerre d’agression contre un voisin pacifique et démocratique. Et cette puissance dispose d’armes nucléaires qu’elle n’exclut pas d’utiliser contre ceux qui viendraient en aide au peuple ukrainien. Cette agression a d’ores et déjà causé des milliers de morts.
L’ampleur de l’invasion montre que l’intention de Vladimir Poutine est bien d’occuper le pays, d’y détruire la démocratie et d’installer un gouvernement fantoche à Kiev. Ce qui est en question, c’est donc la survie de l’Ukraine en tant qu’Etat indépendant, une menace très grave pour la sécurité européenne.
Les inquiétudes exprimées par la Russie en matière de sécurité n’étaient visiblement qu’un prétexte visant avant tout à protéger le régime russe d’une contagion démocratique. Ce qui explique cette agression n’est en effet ni la défense des minorités russophones, ni l’adhésion potentielle de l’Ukraine à l’OTAN, ni le déploiement imaginaire d’armes nucléaires aux frontières de la Russie. Le fond de l’affaire réside dans la nature de plus en plus autoritaire du régime de Vladimir Poutine, dans sa conviction profonde que l’extension de la liberté et de la démocratie à ses frontières constituerait une menace existentielle pour son pouvoir. Il s’agit pour lui de siffler la fin de la récréation démocratique de l’Ukraine, un acte bel et bien prémédité.
Après avoir écouté le président Zelensky s’adresser au Conseil européen, je ne peux pas m’empêcher de penser à un précédent que je peine à formuler mais qui s’impose à moi : celui de l’invasion de la Tchécoslovaquie en 1938 par Adolf Hitler.
Pourtant, malgré les informations dont nous disposions sur la préparation de cette agression, nous espérions pouvoir éviter une guerre ouverte contre l’Ukraine. Nous préférons toujours, en effet, une paix négociée à la guerre, le dialogue, même rugueux, à la confrontation, la raison à la passion violente et l’accommodement, même provisoire, au déchirement irréversible. Et nous espérions qu’un chef d’Etat qui nous disait officiellement et solennellement que jamais il n’envahirait l’Ukraine respecterait sa parole.
Invasion par Hitler
L’Union européenne s’est construite, en effet, sur le refus de la guerre, et nous avons progressivement chassé son spectre de notre esprit. Certes, nous avons déjà eu à affronter en Europe des guerres et des conflits. Certains d’entre eux ont provoqué de terribles souffrances, comme pendant la désintégration de l’ex-Yougoslavie. Mais aucun n’avait la gravité de celle-ci, avec un agresseur surarmé, doté d’armes nucléaires et déterminé à détruire une nation dont il nie jusqu’au droit à l’existence.
Nous ne voulons en aucune manière d’une confrontation avec le peuple russe, qui est associé à l’Europe par des liens historiques et culturels profonds et très anciens. Et nous savons que le peuple russe n’en veut pas non plus. Nous saluons d’ailleurs les nombreux Russes qui se sont dressés courageusement contre cette agression malgré les risques considérables qu’ils encouraient. Cette nouvelle donne nous engage cependant, probablement, dans une épreuve de force longue et difficile face à un agresseur déterminé, engagé dans une fuite en avant pour assurer sa survie.
Car qui nous dit qu’après avoir envahi l’Ukraine, pour sauver les russophones du « génocide » que le « nazi » Zelensky voulait perpétrer, et dévorer la Biélorussie, un Vladimir Poutine enhardi ne voudrait pas « sauver » l’enclave de Kaliningrad, et occuper le corridor qui la relie à la Biélorussie à travers la Pologne et la Lituanie, ou « protéger » les minorités russes des pays baltes ?
Face à cette situation, la plus dangereuse que nous ayons à affronter en Europe depuis la fin de la guerre froide, il nous faut donc nous armer moralement, nous protéger économiquement et nous préparer au pire, relevant sans cesse le niveau de notre capacité de dissuasion et de notre pouvoir de rétorsion politique et militaire.
Force de l’union
Dans l’immédiat, il nous faut tout d’abord adopter des sanctions personnelles, économiques et financières de grande ampleur contre une puissance désormais dangereuse et désinhibée. Et nous demander quelle aide nous pourrons continuer à apporter à l’Ukraine, à son gouvernement légitime au cas où Moscou parviendrait à installer à Kiev un régime fantoche.
Il nous faudra enfin prendre à témoin la communauté internationale aux Nations unies et dans toutes les autres enceintes multilatérales pour l’éclairer sur le comportement agressif d’une puissance qui se targue pourtant de défendre la souveraineté des nations.
Pour cela, il est indispensable de rester unis et déterminés, tant au sein de l’Union européenne que de l’Alliance transatlantique. Car seule la force de notre union peut mettre Poutine en échec, lui qui s’imagine toujours une Europe faible, veule ou divisée. L’Europe ne pourra gagner cette confrontation sans apprendre à parler le langage de la puissance.