Pourquoi nous devons résister lorsque les régimes autoritaires tentent de redéfinir les règles internationales

23/02/2022 – blog du HR/VP – Lors de la conférence de Munich sur la sécurité (CIS), le week-end dernier, j’ai expliqué pourquoi nous devons défendre l’ordre international, fondé sur le droit international et les droits et valeurs universels, contre une campagne révisionniste forte menée par la Russie et la Chine. J’ai également débattu de l’Ukraine, de l’Iran et des Balkans occidentaux avec nos partenaires internationaux.

«Trente ans après la fin de la guerre froide, nous sommes confrontés à des tentatives résolues pour redéfinir les principes fondamentaux de l’ordre multilatéral. Nous devons résister face à ce mouvement révisionniste russo-chinois.» 

 

Après deux années de pandémie, il était essentiel que la CIS se tienne en présentiel. Cela fait une grande différence dans les relations diplomatiques lorsque l’on peut se rencontrer en personne et se regarder les yeux dans les yeux. En marge de la CIS, j’ai rencontré en particulier les ministres des affaires étrangères du G7 pour discuter de la situation en Ukraine et à ses portes, et le ministre ukrainien des affaires étrangères, M. Dmytro Kuleba, nous a rejoints. Nous avons réitéré notre appel en faveur de la désescalade et du recours à des moyens diplomatiques (lien externe), plutôt qu’à la force et nous avons réaffirmé notre solidarité pleine et entière avec l’Ukraine.

Violation flagrante du droit international

Depuis il est devenu manifeste que malheureusement cet appel n’avait pas été entendu. Lundi dernier, le président russe Poutine a décidé, au contraire, de reconnaître l’indépendance des «républiques» de Donetsk et de Lougansk et d’y envoyer des troupes. Pour répondre à cette violation flagrante du droit international ainsi que de l’intégrité territoriale et de la souveraineté de l’Ukraine, nous avons tenu mardi dernier un Conseil extraordinaire des affaires étrangères et décidé à l’unanimité, en étroite coordination avec nos partenaires, d’adopter un ensemble de sanctions. Ces sanctions visent les 351 membres de la Douma d’État russe qui ont voté en faveur de cette reconnaissance, ainsi que 27 personnes et entités qui menacent l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine. Elles couvriront les secteurs politique, militaire, commercial et des médias. Nous ciblons également les relations économiques entre les deux régions et l’Union européenne, tout comme nous l’avons fait dans le cas de la Crimée. Cet ensemble de sanctions ciblera également la capacité de l’État russe à accéder aux marchés financiers et de capitaux de l’UE. Parallèlement, le gouvernement allemand a décidé de suspendre la certification du gazoduc Nord Stream 2.

«Les sanctions ne sont qu’une partie de notre riposte. Nos efforts diplomatiques se poursuivront pour empêcher que n’éclate un nouveau conflit au cœur de l’Europe.»

Les sanctions toutefois ne sont qu’une partie de notre riposte. Nos efforts diplomatiques se poursuivront pour empêcher que n’éclate un nouveau conflit au cœur de l’Europe. Le risque d’un conflit majeur est réel et nous devons le prévenir à tout prix. Nous poursuivrons donc nos démarches auprès des Nations unies et de l’OSCE afin de ramener la Russie à la table des négociations. 

Relancer le plan d’action global commun dès que possible

Lors de la CIS le weekend dernier, j’ai également discuté, pour la troisième fois ce mois, de la voie à suivre pour les négociations sur le nucléaire iranien avec le ministre iranien des affaires étrangères, M. Hossein Amir-Abdollahian. J’ai également discuté de cette question avec mes collègues allemand, français et britannique, ainsi qu’avec le secrétaire d’État américain, M. Blinken. Il est essentiel de débloquer les pourparlers en cours à Vienne et de relancer le plan d’action global commun dans les meilleurs délais.

J’ai également eu un échange de vues sur les tensions croissantes dans les Balkans occidentaux avec des protagonistes locaux de premier plan. J’ai rencontré le Premier ministre kosovar, M. Kurti et la ministre des affaires étrangères, Mme Gërvalla, afin de contribuer à relancer le dialogue entre Belgrade et Pristina. Je me suis entretenu avec le Premier ministre de Macédoine du Nord, M.Kovačevski et le ministre des affaires étrangères, M. Osmani, pour confirmer notre volonté de progresser rapidement sur la voie de l’adhésion du pays à l’Union européenne. J’ai également exprimé nos vives inquiétudes quant à la situation en Bosnie-Herzégovine. Depuis 25 ans nous nous heurtons à la difficulté de maintenir en vie l’accord de Dayton mais les forces centrifuges se sont accélérées ces derniers mois.

Enfin, lors d’un déjeuner organisé par le ministre indien des affaires étrangères, M. Jaishankar, nous avons examiné les moyens de renforcer nos relations dans la région indo-pacifique. J’ai de nouveau discuté de cette question avec le ministre japonais des affaires étrangères, M. Hayashi. J’ai également eu un échange de vues très intéressant avec Mme Lyse Doucet, journaliste à la BBC, au sujet de la situation en Afghanistan, où elle est restée après la prise de contrôle du pays par les talibans.

Prendre du recul

Dimanche matin, j’ai prononcé un discours et participé à une table ronde avec les ministres français et allemand de la défense. Avant de m’atteler aux questions brûlantes de l’Ukraine et du Sahel et à d’autres dossiers, j’ai voulu prendre du recul et aborder un défi idéologique grandissant posé par la Russie et la Chine. Trente ans après la fin de la guerre froide, nous sommes confrontés à des tentatives résolues pour redéfinir les principes fondamentaux de l’ordre multilatéral. Leur succès ou leur échec déterminera si l’acquis multilatéral de l’après-guerre survivra, axé sur les Nations unies, le droit international et les droits universels ou s’il sera remplacé par un ordre multipolaire, fondé sur les rapports de force entre puissances, reposant sur des zones d’influence et une approche relativiste des droits de l’homme.

La déclaration conjointe sino-russe du 4 février (lien externe) représente l’apogée de cette campagne de longue date. C’est là une provocation et sa substance est claire. Il s’agit d’un manifeste révisionniste, en d’autres termes d’un manifeste ayant pour but de revoir l’ordre mondial.

«Trente ans après la fin de la guerre froide, nous sommes confrontés à des tentatives résolues pour redéfinir les principes fondamentaux de l’ordre multilatéral. La déclaration conjointe sino-russe du 4 février (lien externe) est un manifeste révisionniste, en d’autres termes un manifeste ayant pour but de revoir l’ordre mondial.»

Cela vaut la peine de la lire de près. On peut ainsi lire dans un passage frappant que la Russie et la Chine s’opposent aux tentatives déployées par des forces extérieures pour saper la sécurité et la stabilité dans leurs régions limitrophes.  La charte des Nations Unies commence ainsi «Nous, peuples» et son article premier définit «le principe de l’égalité de droits des peuples et leur droit à disposer d’eux-mêmes». Mais pour la Russie et la Chine, ce sont les États qui sont souverains et non les peuples. Ces pays s’engagent donc à lutter contre les ingérences de forces extérieures dans les affaires intérieures de pays souverains et à s’opposer aux révolutions de couleur.

Redéfinir la démocratie

La redéfinition de la démocratie constitue un autre élément majeur de leur action révisionniste. Ils parlent de «véritable démocratie». L’ajout d’adjectifs qualificatifs nous rappelle l’époque soviétique où les régimes communistes parlaient de «démocratie populaire» ou de «démocraties organiques» dans l’Espagne de Franco.

La démocratie, selon eux, devrait être mise en œuvre «en fonction du contexte national». Et on nous dit que «la Chine et la Russie, en tant que grands pays possédant une histoire et une culture de longue date, ont de profondes traditions démocratiques ancrées dans des milliers d’années d’expérience du développement.» La Russie se targue d’avoir des milliers d’années d’expérience dans le développement de la démocratie...

Lorsque le président Biden a organisé son «Sommet pour la démocratie» en décembre dernier, la Chine a publié un livre blanc dont le titre est tout à fait significatif: «La Chine: une démocratie qui fonctionne (lien externe)». Elle a fait valoir que le critère ultime pour juger une démocratie était de savoir «si elle produit des résultats». Il ne s’agit donc pas de savoir si elle est fondée sur le consentement du peuple exprimé lors d’élections libres mais de juger d’après le résultat obtenu.

«Les puissances autoritaires –  et pas seulement la Russie et la Chine –  cherchent à relativiser la notion de droits individuels, en les soumettant à des limitations locales et d’ordre culturel.»

Il ne s’agit pas là d’une discussion sémantique mais d’un débat politique. Nous voyons tous les jours dans les organisations multilatérales l’universalité des droits de l’homme donner lieu à des affrontements. Les puissances autoritaires –  et pas seulement la Russie et la Chine –  cherchent à relativiser la notion de droits individuels, en les soumettant à des limitations locales et d’ordre culturel.

La véritable question est de savoir ce qu’il faut faire. Je vois trois pistes:

  1. Nous devons avoir une vision axée sur le long terme et garder à l’esprit que les «aspects techniques et juridiques ont une implication politique».

Ce qui est en jeu, ce ne sont pas les notes de bas de page dans les documents juridiques, mais les fondements mêmes du système multilatéral.  Ainsi, lorsque nous déclarons que nous voulons défendre le système des Nations unies, l’acquis de l’OSCE et l’universalité des droits de l’homme, nous devons comprendre que tout cela commence par définir les termes et veiller au respect de ce qu’ils signifient. Si nous acceptons à reculons des phrases qui ont l’air innocentes, juste pour qu’une résolution soit adoptée ou qu’un accord sur un document d’un sommet soit obtenu et que ces termes font ultérieurement l’objet de nouvelles interprétations pernicieuses, nous nous en mordrons les doigts.   Les Européens devraient savoir, de par leur propre expérience, que ce qui peut apparaître comme des aspects juridiques ou techniques a des implications politiques profondes.

  1. Nous devons prendre conscience que les principales cibles ne sont pas les gouvernements ou les publics occidentaux, mais ceux des «États indécis», à savoir les gouvernements et les publics d’Afrique, d’Asie du Sud-Est, d’Amérique latine et du Moyen-Orient.

Il ne s’agit pas de «défendre l’Occident», mais de veiller au respect des principes partagés qui sous-tendent la sécurité commune et promeuvent des objectifs collectifs et la grande question est de savoir quel type de modèle ces «États indécis» suivront, étant donné qu’ils hésitent entre notre système démocratique et un système plus autoritaire.

Le message envoyé par la démocratie et l’attrait de cette dernière perdurent à l’échelle mondiale. L’Afrobaromètre montre par exemple qu’une large majorité de la population africaine (70 %) est en faveur d’une démocratie pluraliste, y compris, et même surtout, dans les pays à régime autoritaire. Nous devons puiser dans ce vaste réservoir de soutien à la démocratie et nous appuyer dessus.

  1. Nous devons éviter d’avoir l’air sur la défensive ou nostalgiques du passé

En fait ce sont la Russie et la Chine qui veulent revenir en arrière, au 19e siècle. Elles cherchent à s’affirmer de plus en plus et à reconstituer les empires qui étaient les leurs autrefois.  Nous voulons, quant à nous, aller de l’avant, de plain-pied dans le 21e siècle, en tenant compte des enseignements tirés du 20e siècle.

Résister face à ce mouvement révisionniste russo-chinois

En conclusion, les Nations unies et le système multilatéral au sens large ont deux volets:  l’égalité fondamentale des États souverains et la poursuite d’objectifs communs avec la reconnaissance des droits de tous les êtres humains. Supprimer ce deuxième volet revient à supprimer les progrès que nous avons accomplis au cours des 75 dernières années. C’est la raison pour laquelle nous devons résister face à ce mouvement révisionniste russo-chinois.

 

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