Forum de Dakar - Remarques de M Charles Fries
Mesdames et Messieurs les Ministres, Mesdames et Messieurs,
Je suis très heureux de participer ce matin au Forum de Dakar et de pouvoir m’exprimer au nom du Haut Représentant de l’Union européenne pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité M. Josep Borrell.
Cette initiative lancée par le Président Macky Sall est pour nous très importante : elle permet aux Européens de mieux comprendre les besoins et les attentes des pays africains en matière de paix et de sécurité et de voir ensemble comment y répondre le plus efficacement possible. La participation hier du Président du Conseil européen M. Charles Michel illustre la force de notre engagement et de notre soutien au Forum de Dakar.
Ma première remarque est que l’on ne peut pas séparer la sécurité de l’Afrique de la sécurité de l’Europe.
Les dynamiques de paix et de sécurité en Afrique concernent les Africains au premier chef, bien sûr, mais elles concernent aussi directement les Européens.
Tout d’abord parce que ces dynamiques sont lourdes de conséquence pour l’Europe: un conflit peut déstabiliser son voisinage immédiat (on le voit en Libye par exemple), il peut offrir un terreau à des groupes terroristes et des réseaux criminels (comme on le voit au Sahel), une instabilité régionale récurrente (dans la Corne de l’Afrique, par exemple) peut enfin générer des flux de réfugiés et de migrants irréguliers.
Par ailleurs, l’Afrique et l’Europe font de plus en plus face à des menaces et des défis communs, notamment:
- une crise du multilatéralisme,
- l’accroissement de la bipolarité entre les Etats-Unis et la Chine,
- le retour à des logiques de puissances, qui s’affranchissent du droit international pour étendre leur espace géostratégique en Afrique, au détriment des richesses des pays africains et de leurs populations,
- le changement climatique,
- la concurrence pour l’accès aux ressources rares,
- la montée des inégalités.
Ces menaces pèsent sur le continent africain, comme elles pèsent sur l’Europe. Plus que jamais, nous devons donc travailler ensemble, Européens et Africains, pour renforcer notre partenariat et relever ces défis communs.
Dans un contexte de plus en plus instable et dangereux, l’Union européenne souhaite prendre davantage ses responsabilités pour défendre ses valeurs et ses intérêts de sécurité. Nous voulons en effet devenir un pourvoyeur de sécurité plus robuste, plus rapide et plus efficace. C’est l’objet de la Boussole stratégique, présentée le mois dernier par le Haut Représentant Josep Borrell aux 27 Etats membres.
Ce document concerne aussi la relation entre l’Union européenne et l’Afrique. Du Sahel à la Corne de l'Afrique, de Tripoli au Cabo Delgado, l'UE est déjà aux côtés de tous les partenaires africains qui font appel à elle.
Sur nos 18 missions civiles et militaires à travers le monde, 11 missions sont en Afrique. Sous mandat des Nations Unies ou directement à la demande de nos partenaires africains, plus de 2000 soldats, policiers, magistrats européens sont déployés sur le terrain pour fournir conseils et formations à plus de 30.000 de leurs homologues africains.
Nos services vont de la formation militaire spécialisée – comme l’entraînement des forces spéciales mozambicaines pour lutter contre le terrorisme au Cabo Delgado –, au conseil et à l’appui aux réformes structurelles des armées et des forces de sécurité intérieure au Sahel, la gestion des frontières en Libye, ou le renforcement de l’architecture de paix et de sécurité africaine dans toutes ses dimensions, y compris la prévention des conflits.
Nous conduisons aussi deux opérations navales qui participent à la mise en œuvre de l’embargo sur les armes en Libye et à la lutte contre la piraterie au large des côtes somaliennes. Et dans un passé récent, nous avons conduit sur le continent des opérations terrestres d’envergure – comme le déploiement de plus de 3,500 soldats à l’est du Tchad.
Nous conduisons toutes ces actions dans le respect du droit international, et dans le souci de renforcer la souveraineté des Etats et leur bonne gouvernance. C’est notre ADN. Et c’est ce qui pousse souvent nos partenaires à nous solliciter, car ils savent que nous avons de l’expertise, des moyens, la volonté politique de les accompagner, et que nous les respectons.
Avec la Boussole stratégique, nous proposons de faire plus et mieux. Tout d’abord, nous proposons de renforcer la capacité de l’Union européenne à répondre aux crises, avec l’adoption de mandats plus robustes pour nos missions et nos opérations.
Le nouveau mandat d’EUTM Mali a été conçu dans cet esprit : il prévoit l’accompagnement des militaires maliens que nous formons au plus près des zones de combat. Nous coopérons également avec la Task Force Takuba, dont les forces spéciales européennes se battent aux côtés des militaires formés par l’Union européenne.
Nous proposons aussi la création à l’horizon 2025 d’une capacité de déploiement rapide, qui pourrait réunir jusqu’à 5.000 militaires européens pour venir en aide plus efficacement à nos partenaires africains s’ils en font la demande dans une situation de crise.
Deuxièmement, face aux menaces hybrides et à la manipulation de l’information, nous souhaitons renforcer la résilience de nos missions et de nos opérations – et à travers elles, la résilience de nos partenaires eux-mêmes.
Nous avons vu comment le déploiement de mercenaires du groupe Wagner en République Centrafricaine s’est accompagné d’une campagne de propagande intensive contre la présence internationale, en particulier les Nations Unies et l’Union européenne. Ces efforts massifs de désinformation posent un risque pour nos systèmes démocratiques en Europe comme en Afrique. Nous devons donc mieux détecter, attribuer et répondre à ces menaces.
Nous constatons également que la compétition géostratégique ou l’insécurité mettent en danger le libre accès à certains domaines vitaux pour nos sociétés et nos économies comme les couloirs maritimes.
A ce titre, nous avons lancé en début d’année dans le Golfe de Guinée une nouvelle initiative, que nous appelons la Présence Maritime Coordonnée: des marines européennes travaillent ensemble pour assurer la sécurité de ce corridor stratégique – qui est aujourd’hui la région du monde la plus affectée par la piraterie. Dans les tout prochains mois, nous voulons intensifier notre soutien à l’Architecture de Yaoundé, en renforçant les liens avec les pays côtiers et en proposant des mesures d’assistance concrète à leurs marines. Et nous espérons lancer en début d’année prochaine un projet similaire à l’ouest de l’Océan Indien – où notre Opération Atalante a déjà contribué à la diminution drastique de la piraterie.
Troisièmement, nous voulons renforcer l’efficacité de nos partenariats, et c’est un point qui concerne aussi l’Afrique, bien sûr.
Nous souhaitons développer tout le potentiel de la coopération trilatérale entre l’Union européenne, l’Union africaine et les Nations Unies. Un exemple remarquable d’une coopération trilatérale est le soutien opérationnel et logistique que nous apportons à la Force Conjointe du G5 Sahel à travers la MINUSMA.
Par ailleurs, avec la mise en place cette année de la Facilité Européenne de Paix (dotée de 5 milliards pour la période 2021-2027), nous nous sommes dotés des moyens de soutenir directement les armées africaines, y compris à travers la fourniture d’équipements létaux.
Par le passé, nous soutenions des opérations sous les auspices de l’Union africaine ou d’organisations régionales – nous l’avons fait pour l’AMISOM par exemple, à hauteur de plus de 2.5 milliards EUR depuis 2007. Nous continuerons de le faire, pour soutenir aussi le G5 Sahel ou la Force multinationale mixte au Lac Tchad.
Mais désormais, et c’est là une des grandes nouveautés, nous pourrons également soutenir les armées africaines à titre bilatéral – et pour commencer : l’armée nationale somalienne, l’armée malienne, les forces spéciales mozambicaines. Dans les tout prochains mois, nous leur livrerons par exemple des véhicules, des drones, de la technologie, du matériel de vision nocturne, des équipements individuels et de protection, notamment contre les engins explosifs improvisés, des hôpitaux de campagne.
La Facilité Européenne de Paix est un changement majeur : elle nous permet désormais de faire du ‘train & equip’ et elle rendra notre coopération militaire plus efficace.
En parallèle, nous souhaitons déployer davantage de militaires et d’experts en contre-terrorisme dans les Délégations de l’Union européenne en Afrique, et de conseillers auprès de nos partenaires, pour mieux cibler nos programmes de coopération.
Tout en développant nos partenariats, nous souhaiterions enfin voir des Etats africains participer directement à nos missions et opérations. A ce jour, seul le Maroc a contribué directement à une opération européenne – Althéa, en Bosnie Herzégovine – et nous souhaiterions ouvrir cette possibilité à d’autres.
Voilà, au vu de toutes ces initiatives, nous espérons que le prochain Sommet Union européenne – Union africaine de février 2022 nous permettra de franchir une nouvelle étape dans notre partenariat.
Je suis heureux d’avoir pu vous présenter aujourd’hui certaines de nos propositions. Vous l’aurez compris : l’Union européenne est aux côtés de l’Afrique et souhaite plus que jamais rester un partenaire de référence pour promouvoir la paix et la sécurité sur le continent.
Je vous remercie.