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Pour un partenariat public-privé pour lutter plus efficacement contre la corruption

27.04.2018
Text

Allocution de Monsieur Vincent DEGERT, Ambassadeur

de l'Union européenne en République d'Haïti à l'occasion du déjeuner/débat autour du thème:

« Pour un partenariat public-privé pour lutter plus efficacement contre la corruption »

Son Excellence M. Le Président de la République;

Monsieur le Directeur général de l'Unité de Lutte contre la Corruption,

Monsieur  le Président de la Chambre de Commerce et d’Industrie d’Haïti (CCIH), M. Frantz Bernard CRAAN,

Mesdames, Messieurs les hauts cadres de l'administration haïtienne,
Mesdames et Messieurs les représentants du secteur privé haïtien,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,

Mesdames et Messieurs les représentants des partenaires techniques et financiers,

Mesdames et messieurs de la presse,

Introduction et remerciements

Je suis très heureux de participer, avec ma double casquette d'ambassadeur de l'UE et de président du groupe des ambassadeurs de la coopération, à cette rencontre organisée par l'ULCC, et je remercie le Major David Basile pour son invitation, ainsi que le Président de la Chambre de Commerce et d’Industrie d’Haïti (CCIH), M. Frantz Bernard CRAAN qui marque l'engagement du secteur privé dans ce débat.


C’est un moment plaisant et motivant de prendre la parole aujourd'hui devant vous, pour célébrer cette importante rencontre consacrée au thème de la corruption, et en particulier au partenariat public-privé dans la lutte contre la corruption. En effet, lutter contre la corruption est un thème réputé « sensible » dans toute société, thème à la fois complexe et délicat, tantôt boudé, tantôt instrumentalisé qui représente à la fois l'obstacle et la solution à l'un des plus grand défis d'un État comme Haïti aujourd'hui : tout simplement assurer son développement, enclencher ou réenclencher un véritable processus de développement…et donc, façonner son avenir.

Soyons clairs, quand on suit chaque jour l’actualité, en Europe, dans le monde ou dans la région, aujourd’hui personne n’est bien placé pour donner des leçons sur ce sujet, et ce n'est d'ailleurs pas le rôle de l'Union européenne, ni mon intention aujourd'hui. Non seulement parce que la lutte contre la corruption représente un défi pour l'ensemble des pays dans le monde, mais surtout parce que la coopération internationale est présente ici en Haïti avant tout dans un rôle d'appui et de conseil pour soutenir et trouver, avec ses partenaires haïtiens, des réponses à cet immense défi de nature si tentaculaire et tellement interconnecté dans la société à tous les niveaux.

Responsabilité de tous et engagement de l'État (politique)

Dans ce contexte, permettez-moi de  partager avec vous quelques réflexions générales :   

La première c'est de reconnaitre que combattre la corruption relève de la responsabilité première de l'État, et à travers lui, de la société toute entière.

Dans un premier temps la meilleure voie, c’est indéniablement la corruption que l’on évite, la corruption que l’on dissuade, et donc la prévention de la corruption. Et cela commence par des salaires, des salaires  décents et réguliers que l’Etat verse à ses fonctionnaires, qu’ils soient douaniers, juges, policiers, régisseurs d’avances ou occupant toute autre fonction impliquant un pouvoir de décider, de percevoir ou d’exempter d’une taxe, d’ordonnancer des fonds publics et d’exercer l’autorité ou la force publique. L'Etat et ses plus hauts responsables doivent fixer la norme, être ou aspirer à être irréprochables. Gérer par l'exemple. Alors, et alors seulement, l’Etat et ses gouvernants peuvent exiger et obtenir en retour la loyauté et la rectitude dans la gestion des affaires publiques et sanctionner ou réprimer les contrevenants sur base d’une tolérance qui ne peut être forcément, et par définition, qu’une tolérance zéro.

Mais combattre la corruption va au-delà de la seule fonction publique, c'est également une responsabilité partagée avec secteur privé: c'est la responsabilité de l'importateur qui essaie de contourner les règles en demandant ou s'octroyant des privilèges indus sous forme d'exonérations opaques ou  passe-droits à la frontière. Prenons quelques exemples illustratifs: Lorsque des boites à  manger, les "styrofoam", sont interdites pour la seconde fois en quatre ans et que, produites en République dominicaine par un producteur, elles sont importés par un ou une poignée d'importateurs facilement identifiables et qui disposent d'un réseau très structuré de distribution, alors forcément il y a corruption; mais la seconde question vient alors immédiatement: y a-t-il une volonté réelle d'interrompre ce flux qui, non seulement, contrevient à la loi haïtienne, mais détériore durablement l'environnement du pays? Récemment un expert haïtien, ancien ministre, M Dorsainville comparait les déclarations d'exportation dominicaines avec les déclarations d'importation haïtiennes et observait un différentiel, non pas de 1 à 2 ou 3, mais de 1 à 20 à 35! Alors peut-être les exportateurs dominicains surdéclarent-ils massivement leurs exportations pour des récupérations indues de TVA, mais n'y a-t-il pas aussi de sous déclarations du coté haïtien?

La corruption est multifacette; c'est aussi comme l'évoque souvent le Président de la République SE M Jovenel Moise celle  du commerçant ou du fournisseur de travaux ou de services qui se livre à des pratiques de surfacturation (qu'elle soit ponctuelle ou systématique).  La corruption est protéiforme comme illustré très clairement dans ce fascicule de l'ULCC: la corruption active ou passive, trafic d'influence, concussion, favoritisme, enrichissement illicite ou sans cause, blanchiment, délit d'initié, détournement de biens publics, passation illégale de Marchés publics, abus de biens sociaux, pots de vin, commission illicite,…la liste est bien longue et illustre le fait que la corruption, c'est bien l’affaire de chaque citoyen; ce citoyen doit , d'une part, être protégé contre toute tentation d'aller dans ce même sens, de devenir lui-même corrupteur ou corrompu, ce d'autant qu'il est par ailleurs affecté en permanence par une mentalité omniprésente de laisser-faire et d'impunité ou encore de confusion entre ce qui peut être considéré normal et ce qui, au contraire, doit être systématiquement dénoncé comme des pratiques illicites et donc sanctionner. Finalement ceci se résume à une question centrale: Voler l'état et l'argent public, est-ce voler la société haïtienne?

Monsieur le Directeur général, Mesdames, Messieurs,

Cette question étant posée, il est encourageant de constater que la lutte contre la corruption occupe une place primordiale dans la déclaration politique du gouvernement et des institutions; qu'elle figure notamment dans toutes les feuilles de route remises aux Ministres, ce  qui constitue indéniablement un affichage fort. Le Chef de l’État a rappelé à plusieurs reprises - comme à la tribune des Nations unies en Septembre ou très récemment au 8ème Sommet des Amériques à Lima -, l’importance de la lutte contre la corruption pour le développement national. Et j'ajouterais pour l'efficacité de l'aide souvent décriée. C’est donc en toute logique que ce sujet revient régulièrement lors de notre dialogue avec les autorités. Récemment encore, à l'occasion du dialogue conjoint autour des réformes des finances publiques, nous avons abordé ce sujet avec les principaux partenaires techniques et financiers, et le Gouvernement s'est engagé, à cette occasion, sur plusieurs actions concrètes; permettez-moi de les mentionner brièvement :

 

  1. Tout d'abord, procéder à une évaluation critique de la stratégie nationale de lutte contre la corruption en cours, adoptée en 2009, ceci pour mieux comprendre les raisons pour lesquelles ses objectifs n’ont pas été atteints. Que faire pour que la prochaine stratégie ne reste pas une lettre morte et au contraire produise un électrochoc suivi d'effets et d'impact dans la société?

     

  2. Ensuite, renforcer et harmoniser le travail des organes de lutte contre la corruption que sont la Cour des Comptes et de Contentieux Administratif, la Commission Nationale des Marchés Publics (CNMP), l'Inspecteur Général des Finances (IGF), l'Unité centrale de Renseignements Financiers (l'UCREF), les services fiscaux et douaniers et l’Unité de Lutte contre la Corruption (l'ULCC), pour ne nommer que les plus importants. Rendre les contrôles plus simples, plus effectifs et plus cohérents; échanger l'information et interconnecter les bases de données comme par ex. entre la DGI et l'agence des douanes.

  3. Enfin, et bien que la lutte contre la corruption concerne l'ensemble des institutions que je viens de citer, l’ULCC doit jouer un rôle particulier dans le dispositif anti-corruption en Haïti. En ce sens, nous avons accueilli avec satisfaction l'engagement du Gouvernement, le 17 novembre dernier,  de finaliser et de déposer un projet de loi qui inclut des dispositions visant à renforcer l'autonomie fonctionnelle et financière de l’ULCC, notamment l'indépendance de son Directeur général, nommé pour un mandat d'une durée prédéterminée et sur base de critères préétablis;

     

    D’autres engagements importants ont été pris par le Gouvernement, comme d’appliquer fermement la loi en matière de déclaration de patrimoine, et ensuite de faciliter le suivi par l’ULCC des déclarations déposées. Seul un suivi actif et impartial avec l'application de sanctions que prévoit la Loi de 2014 rendra ces déclarations et donc la loi utiles.

     

    S’y ajoute aussi le dépôt de projets de loi sur la protection des lanceurs d'alerte et des témoins. Ce dernier point est fondamental, car tant que cette protection impérative pour les lanceurs d'alerte n’existe pas (on en a en Europe la démonstration chaque jour), le sentiment d'impunité et la crainte de représailles l'emporteront sur l'action et le courage pour dénoncer des pratiques illicites.

     

Pour terminer, j'aimerais souligner, qu'à côté d'autres bailleurs (et en particulier la Banque mondiale et le FMI), l'Union européenne reste pleinement investie au côté de l'Etat haïtien dans la lutte contre la corruption, à travers le renforcement de l'ULCC, grâce au programme d'appui budgétaire en cours de signature.

Cet appui a permis le développement d’un certain nombre d’outils de travail et de communication essentiels à la lutte contre la corruption.

Les défis pour le futur et conclusions

Monsieur le Directeur général, Mesdames et Messieurs,

La lutte contre la corruption est un chemin long, pénible et même dangereux.

Long, car les réformes à mener sont nombreuses et sensibles;

Pénible, car il s'agit parfois de changer drastiquement une approche, une mentalité collective, profondément ancrée dans les attitudes et les comportements au sein de la société;

Dangereux, car l'appareil légal n'est souvent  pas au point pour protéger ceux qui ont envie d'agir pour que les choses changent.


Ces défis sont en fait nos défis communs. Il y a lieu de confirmer ici que la communauté internationale est aux côtés des citoyens et de l’Etat haïtiens face à cet enjeu d'importance capitale pour le pays et son développement. Ce n'est qu'en s’engageant avec détermination et fermeté sur le chemin du changement radical qu'Haïti peut espérer remonter graduellement l’échelle qui place douloureusement le pays à la 158e place sur 168 au niveau de l'Indice mondial de Perception de la corruption, publié annuellement par Transparency International.

C'est ainsi également que le pays pourra faire toute la lumière, en toute sérénité et à travers des institutions et structures renforcées, sur des sujets polémiques comme l'utilisation des fonds PSUGO ou des chèques zombis, pour ne nommer que quelques cas emblématiques qui défrayent chaque jour la chronique et que nous avons tous à l'esprit.

Dans ce contexte, et ce sont mes mots en guise de conclusion, il me semble surtout important d'éviter le scénario du pire, worst case scenario, celui dans lequel la corruption devient addictive, devient monnaie courante au point où l’on ne chercherait même plus à la combattre…Au contraire, la corruption n’est ni un système de gouvernance, ni une fatalité : elle peut se combattre si, au-delà des mots, la volonté affirmée et affichée est suivi d’actes clairs, appliqués avec détermination et impartialité.

A travers le débat de ce matin, je ne doute pas que les représentants du secteur privé nous éclaireront davantage sur les grands enjeux auxquels est confrontée la société haïtienne en matière de lutte contre la corruption, et la façon dont il convient d’y répondre. Soyez assurés de la détermination de la communauté internationale de continuer à vous accompagner sur ce chemin d’une société plus transparente, plus juste et plus inclusive.

Je vous remercie.

 

Category
Speeches of the Ambassador
Location

Port-au-Prince, Haiti

Editorial sections
Haiti