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La Libye à la croisée des chemins

12 septembre 2021 – blog du HR/VP – La semaine dernière, j'ai visité la Libye à un moment critique. Les semaines à venir détermineront si l'espoir récemment suscité se consolidera ou si des intérêts particuliers maintiendront le pays dans une situation d'incertitude, avec un grave danger de retour à la violence armée. Nous sommes prêts à faire notre part pour l'éviter.

"La Libye est un acteur essentiel pour la stabilité de la Méditerranée, de l'Afrique du Nord et du Sahel. Il est clair que notre sécurité et notre prospérité sont liées de part et d'autre: ce qui est bon pour la Libye est bon pour l'Europe."

 

Je me suis rendu en Libye à plusieurs reprises au cours des deux dernières années et je peux mesurer les progrès récemment accomplis vers la paix. Toutefois, les divisions politiques et la fragmentation de la Libye concourent encore à l'ébauche d'un scénario complexe, aggravé par l'absence de l'État dans une grande partie du pays. Dans ce contexte, des violences peuvent encore éclater à tout moment et s'intensifier rapidement. Aucun des acteurs ne peut obtenir la victoire à lui seul, mais chacun d'entre eux peut provoquer un affrontement direct avec les autres.

Le difficile chemin vers les élections

La période intérimaire actuelle devrait se terminer le 24 décembre avec des élections générales, mais le chemin pour y parvenir est parsemé de toutes sortes de difficultés et d'oppositions. Des efforts considérables seront nécessaires de la part des parties prenantes aux niveaux national et international pour faire en sorte qu'elles se déroulent d'une manière libre, régulière et crédible et que tous en acceptent les résultats. Toutefois, une vision commune de l'avenir du pays, une motivation commune et un esprit de compromis parmi les Libyens ne sauraient naître de la pression internationale, ni être remplacés par des mécanismes procéduraux. C'est en premier lieu aux dirigeants libyens eux-mêmes qu'il appartiendra de relever le défi pour leur pays.

 

"Une vision commune de l'avenir du pays, une motivation commune et un esprit de compromis parmi les Libyens ne sauraient naître de la pression internationale. C'est en premier lieu aux dirigeants libyens eux-mêmes qu'il appartiendra de relever le défi pour leur pays."

 

Le Premier ministre Abdelhamid Dbeiba, qui a pris ses fonctions en mars dernier, est le principal acteur chargé d'assurer le succès du processus politique dans cet environnement très complexe, avec la difficulté supplémentaire consistant à devoir agir sans avoir de contrôle sur la majorité du territoire et, jusqu'à présent, sans budget.

La paix en Libye changerait la donne dans la région

La paix en Libye changerait également la donne dans la région, compte tenu de la situation stratégique qui est celle de ce pays en Méditerranée, en Afrique du Nord et au Sahel, ainsi que de sa taille et de son potentiel économique. Avec une superficie équivalente à celles de la France, de l'Espagne, de l'Italie et de l'Allemagne réunies, avec une population de seulement 7 millions d'habitants et avec les réserves pétrolières les plus importantes d'Afrique, le sort de la Libye peut avoir un impact sur toute la région, positif comme négatif.

 

"Sur le plan de la sécurité, l'instabilité en Libye représente des risques bien trop évidents eu égard au nombre d'armes en circulation et au potentiel que recèlent ses vastes zones incontrôlées pour ce qui est de servir de refuge au terrorisme et à la criminalité organisée."

 

Sur le plan de la sécurité, l'instabilité en Libye représente des risques bien trop évidents eu égard au nombre d'armes en circulation et au potentiel que recèlent ses vastes zones incontrôlées pour devenir des bases arrière du terrorisme et de la criminalité organisée. La crise actuelle au Sahel a été déclenchée par les événements survenus en Libye en 2011, et la mort récente du président tchadien Idriss Déby dans des affrontements avec des rebelles venus de Libye met clairement en évidence sa persistance. Avec une Libye pacifiée et un meilleur contrôle du sud du pays, la sécurité à Tunis, en Algérie, au Tchad, au Niger, au Soudan et, potentiellement, en Égypte serait considérablement renforcée.

Sur le plan économique, la reconstruction de la Libye nécessitera un investissement d'environ 100 milliards de dollars. Le pays dispose de ressources considérables provenant des exportations de pétrole – qui s'élèvent actuellement à 1,2 million de barils par jour – ainsi que d'un fonds souverain d'une valeur de plus de 60 milliards de dollars. Selon les estimations d'une étude récente de la CESAO des Nations unies (lien externe), la paix en Libye engendrera pour la région des gains totaux d'une valeur supérieure à 160 milliards de dollars sur la période 2021-2025; le chômage diminuerait d'environ 6 % en Tunisie, 9 % en Égypte et 14 % au Soudan. Ces chiffres sont spectaculaires.

En matière de migration, l'impact de la paix en Libye serait également très important. Le pays comptait environ 2,5 millions de travailleurs étrangers avant la révolution, et l'on estime qu'il en faudrait 3 millions pour la reconstruction dans les années à venir. Les transferts de fonds ont atteint les 3 milliards de dollars en 2013, bénéficiant presque exclusivement aux voisins de la Libye que sont l'Égypte et Tunis.

 

"Il est difficile d'imaginer une seule politique de l'UE qui contribuerait aussi efficacement que la promotion de la paix et de la stabilité en Libye à la réalisation de nos priorités dans la région."

 

Compte tenu de ce potentiel, il est difficile d'imaginer une seule politique de l'UE qui contribuerait aussi efficacement que la promotion de la paix et de la stabilité en Libye à la réalisation de nos priorités dans la région. Cela nous amène à la question de savoir ce que nous pourrions faire mieux pour contribuer à la paix.

Dans un contexte national d'après-conflit, de mise en place des institutions et de reconstruction économique, notre aide pourrait être importante et les autorités libyennes sont parfaitement conscientes de notre volonté de coopérer. La gouvernance, y compris dans les domaines de l'économie et de la sécurité, pourrait être au centre de notre coopération. Cela ne nécessiterait pas d'aides d'un montant important car la Libye est en mesure de financer son propre développement mais, avec nos États membres, nous pouvons avoir une valeur ajoutée en apportant une expertise technique, en aidant à trouver des investissements étrangers et en nous concertant avec les institutions financières internationales.

La priorité immédiate: consolider la paix et la stabilité

Mais nous n'y sommes pas encore . La priorité immédiate est de consolider la paix et la stabilité. Là aussi, l'Union européenne continue d'apporter une contribution importante, dans le cadre de son opération navale IRINI, à la mise en œuvre de l'embargo sur les armes imposé par le Conseil de sécurité des Nations unies, et elle pourrait en outre envisager une assistance dans le domaine de la sécurité et de la défense dans un cadre onusien de stabilisation.

Les élections de décembre constituent une étape essentielle pour progresser sur la voie de la réconciliation politique. La mission d'appui des Nations unies en Libye a pour mandat direct de jouer un rôle de médiateur dans ce contexte, et nous soutenons vivement ses efforts.

Des discussions sont en cours dans les domaines politique, sécuritaire et économique

Des discussions sont en cours dans les domaines politique, sécuritaire et économique, et l'UE et les États membres y participent activement. En sa qualité de coprésidente du groupe de travail économique (avec les Nations unies, les États-Unis et l'Égypte), l'UE s'efforce en particulier de faire en sorte que l'économie devienne un moteur de paix plutôt qu'un moteur de conflit, comme cela a été le cas jusqu'à présent. Certains progrès ont été accomplis et l'accent est désormais mis sur l'unification des institutions économiques.

Toutefois, nous devons d'urgence renforcer ces discussions; la dynamique actuelle n'apportera pas l'énergie politique nécessaire pour engendrer un accord politique viable. L'UE et les États membres devraient être en mesure d'influer plus efficacement sur le processus, mais cela ne peut se faire que si nous agissons ensemble: l'UE doit parler d'une seule voix si elle veut apporter une contribution significative.

 

"L'UE et les États membres devraient être en mesure d'influer plus efficacement sur le processus de paix en Libye, mais cela ne peut se faire que si nous agissons ensemble: l'UE doit parler d'une seule voix si elle veut apporter une contribution significative."

 

Un dernier mot à propos de la migration. Nous devons d'abord comprendre la situation très particulière de la Libye. Elle partage plus de 4 000 km de frontières avec six pays (Égypte, Soudan, Tchad, Niger, Algérie et Tunisie) ayant ensemble une population de plus de 200 millions d'habitants, qui sont tous beaucoup plus pauvres que les 7 millions de Libyens. À de nombreux endroits, ces frontières ne sont guère plus que des lignes tracées dans le sable et, pour ne rien arranger, le fragile équilibre ethnique dans le sud du pays peut être affecté par les mouvements migratoires en provenance des pays voisins.

Il est évident que, dans ce contexte, la situation humanitaire des migrants et des réfugiés appelle une réponse urgente. Les conditions épouvantables qui règnent dans les centres de détention sont inacceptables, et l'amélioration du traitement réservé aux migrants sera au cœur de notre action dans ce domaine.

 

"Dans ce contexte, la situation humanitaire des migrants et des réfugiés appelle une réponse urgente. Les conditions épouvantables qui règnent dans les centres de détention sont inacceptables, et l'amélioration du traitement réservé aux migrants sera au cœur de notre action dans ce domaine."

 

Les autorités libyennes demandent clairement que le soutien de l'UE soit renforcé dans le sud du pays, en ayant recours à la mission de l'UE d'assistance à la frontière et à nos autres outils pour parvenir à une approche intégrée liant la gestion et la sécurité des frontières à la création d'emplois et à l'amélioration des services de base. Il importe toutefois de garder à l'esprit que, dans les circonstances actuelles, la situation sécuritaire dans la région rend impossible l'établissement d'une présence internationale stable sur le terrain.

Une approche plus équilibrée des migrations en Libye, qui fait déjà l'objet de discussions, devrait englober une gestion efficace des frontières dans le nord et le sud du pays, la protection des migrants vulnérables et des réfugiés et la gouvernance des migrations, en particulier en ce qui concerne les travailleurs étrangers nécessaires à la reconstruction.

Notre sécurité et notre prospérité sont clairement liées de part et d'autre

La Libye est un acteur essentiel pour la stabilité de la Méditerranée, de l'Afrique du Nord et du Sahel. Notre sécurité et notre prospérité sont clairement liées de part et d'autre: ce qui est bon pour la Libye est bon pour l'Europe. Nous sommes prêts à faire notre part et j'espère retourner rapidement en Libye.

 

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